• Articles du pasteur Alain Joly
  • Entrer dans la commémoration des 500 ans de la Réformation

    Article paru dans « France catholique »,

    au sujet du 500è anniversaire de la Réforme, avant les célébrations du 31 octobre 2016.

    Pasteur Alain Joly

     

    Le 31 octobre 2016, en ouverture de la commémoration du 500è anniversaire de la Réformation, la cathédrale luthérienne de Lund, en Suède, accueillera le pape François et l’évêque président de la Fédération luthérienne mondiale Mounib Younan, pour une célébration conjointe d’action de grâce, de repentance et d’intercession.

    Pourquoi le 31 octobre ?

    Chaque année, les chrétiens protestants célèbrent le souvenir des réformateurs, en référence au 31 octobre 1517, date à laquelle le moine augustin Martin Luther, professeur de l’Université de Wittenberg, en Allemagne, diffusa 95 thèses dénonçant la pratique des indulgences. Après la mort du réformateur, on raconta que le fougueux moine avait placardé le grand feuillet des thèses sur la porte de la chapelle du château de Wittenberg. Cet épisode aurait pu rester anodin dans le contexte des débats académiques. Cependant l’archevêque de Mayence, à qui, loyalement Luther avait envoyé le texte qu’il proposait à la controverse théologique, le transmis à Rome où, avec le prélat allemand, on s’inquiéta du trouble que pourrait causer une discussion sur la valeur des indulgences. Le jour devint emblématique des commencements d’un mouvement dont Luther et ses compagnons furent les acteurs décidés à partir de 1520, et bien au-delà de la seule question des indulgences. La rupture sera consommée lorsque Luther et ses partisans seront déclarés excommuniés par une bulle du pape Léon X, de janvier 1521.

    Le premier centenaire, en 1617, puis les suivants jusqu’à celui du XXe siècle furent des occasions d’exalter la personnalité de Luther et d’affirmer l’identité de l’Allemagne protestante. En 2016 et 2017, pour la première fois dans l’histoire, la dimension internationale et œcuménique élargit la commémoration à toute la chrétienté et permet aux partenaires encore divisés, et en voie de réconciliation, de prendre la mesure ensemble de l’espérance d’Unité de l’Eglise. Catholiques et luthériens relisent leur passé commun et séparé, et s’engagent en faveur d’un témoignage à rendre au monde.

    Une autre date

    Le 25 juin 1530, convoqués par Charles-Quint à la Diète (ou grand conseil d’Empire) dans la ville d’Augsbourg, les princes et magistrats de villes libres acquis à la Réforme, lui présentèrent une confession de foi. Dénommée depuis Confession d’Augsbourg, cet exposé des fondamentaux du luthéranisme a aujourd’hui un statut d’autorité et de règle normative pour les 145 Églises de la Fédération luthérienne mondiale.

    Luther, empêché de se rendre à la Diète, parce qu’excommunié et au ban de l’Empire, avait suivi à distance les préparatifs et la rédaction de la confession de foi. Au prince électeur, son protecteur, il écrivait le 15 mai 1530: « J’ai parcouru l’apologie de maître Philippe (Melanchthon, le rédacteur, également professeur à Wittenberg). Elle me plaît beaucoup et je n’y vois rien à améliorer ou changer, d’ailleurs cela ne conviendrait guère, car je ne peux pas m’exprimer d’une façon aussi douce et discrète ». La dimension irénique de la confession répondait au désir manifeste des théologiens de Wittenberg de sauver l’unité de l’Église, s’il en était encore temps, et aussi à la volonté de l’empereur Charles-Quint que les deux partis se traitent mutuellement avec charité et bienveillance, termes que reprend par trois fois la préface du texte (dans l’une et l’autre versions, en latin et en allemand). Les signataires énonçaient d’emblée leur intention de restaurer la paix entre les chrétiens divisés, « et selon la vérité divine (que) ces dissensions soient ramenées à une seule et vraie religion, de même que nous menons notre vie et notre combat sous un seul et même Christ ».

    Depuis le concile Vatican II, et les dialogues fructueux menés par les théologiens autour des années 1980, il est possible d’envisager la reconnaissance, dans la confession de foi d’une autre communauté, même s’il demeure des différences et des problèmes, d’une expression authentique de la foi commune de tous les chrétiens. Cela suppose d’y découvrir le centre vivant de la foi, qui est Jésus-Christ Rédempteur, et de nous rapprocher les uns des autres par la lecture commune des Écritures saintes. Au sujet de la Confession d’Augsbourg, plusieurs théologiens catholiques (dont le cardinal Joseph Ratzinger, futur pape Benoit XVI) ont parlé de sa « forme propre de réalisation de la foi commune », et la Fédération Luthérienne mondiale n’hésite pas à la désigner comme une « expression d’une conception commune du centre de la foi chrétienne », ou d’une « expression d’une conception commune des vérités fondamentales de la foi ». Ces formulations sont capitales dans un dialogue humble et respectueux, en Église (s). Et celui-ci est riche de promesses lorsqu’il s’inscrit au souffle de l’Esprit saint qui visite les cœurs des chrétiens orientés ensemble à l’exaucement de la prière du Christ pour l’Unité de son Église.

    Pour ces raisons, je n’hésiterai pas, pour ma part, à préférer à celle du 31 octobre, la date symbolique du 25 juin, que seuls la plupart des luthériens célèbrent en une solennité particulière ce jour, et l’année 1530 en référence pour nos rapprochements enracinés dans les signes posés par l’Esprit. Mais je me rallie aussi à la date automnale, parce qu’elle est la veille de la fête de tous les saints, et qu’ainsi on oriente le chemin « du conflit à la communion » vers la réalité accomplie de ce que doit être l’Église, communion vivante des saints en Dieu.

    Réforme et Réformation

    En latin, il n’y a qu’un seul mot : « reformatio », et en français, comme en d’autres langues, l’anglais ou l’allemand par exemple, deux termes : Réforme et Réformation.

    La Réforme est un mouvement inhérent à l’Église. Elle est dans sa nature propre, parce qu’elle tend à la forme que le Christ veut pour elle. Plusieurs fois dans les siècles passés, avant même l’époque de Luther et des autres réformateurs qualifiés après coup de « protestants », il y eut des expressions concrètes de volontés de réforme, donner ou faire advenir forme renouvelée. On pourra dire aujourd’hui, dans le cadre du 500è anniversaire, que l’on parle ainsi du mouvement général, théologique et spirituel, qui a été mené par des croyants d’une époque et par extension le dynamisme ecclésial dans lequel vivent les chrétiens leurs héritiers. La Réformation est l’ensemble des évènements qui, au XVIe siècle précisément, et en particulier entre 1517 et 1530, puis jusqu’au concile de Trente, a historiquement marqué le début du mouvement de la Réforme. En sont issues les grandes dénominations protestantes : luthérienne, réformée (initialement d’inspiration calviniste), baptiste, anglicane (ou épiscopalienne), etc.

    Jalons pour fonder la commémoration

    Beaucoup de dialogues en vérité ont précédé l’année d’espérance que nous nous apprêtons à vivre. Beaucoup de prière. Beaucoup de travail théologique. Beaucoup de rencontres fraternelles. Retenons comme l’un des jalons décisifs le document de réconciliation sur la compréhension de l’amour divin et la vie nouvelle en Christ, par l’Esprit.

    Après 30 années de dialogue, l’Église catholique et la Fédération luthérienne mondiale ont signé une Déclaration commune sur la doctrine de la Justification par la foi. C’était le 31 octobre 1999, dans la ville d’Augsbourg… Où l’on voit par ce choix, du jour et du lieu de signature, l’importance des deux dates historiques et emblématiques de la division et de l’unité !

    Par cette Déclaration commune, qui engage désormais les deux Églises, catholiques et luthériens ont dépassé le clivage de la controverse sur la justification et sont parvenus à une affirmation fondamentale que des différences de compréhension ou de pratique ne remettent plus en question : c’est la méthode dite du consensus différencié. La vérité évangélique (justice de Dieu, salut par la foi en l’œuvre de Jésus-Christ, son incarnation, sa passion et sa résurrection, et les bonnes œuvres auquel le Saint Esprit habilite les croyants) est confessée par tous et dans les mêmes termes. Désormais les excommunications et anathèmes du passé, sur ce sujet de doctrine de la justification, ne concernent plus les partenaires actuels. Et les différences d’approches ou de piété ne remettent pas en cause la formulation commune. Au contraire, elles stimulent et enrichissent les uns et les autres en vue d’un meilleur témoignage. Il faut bien mesurer qu’on découvre alors la réforme profonde, la forme renouvelée, de l’Église, laquelle ne peut et doit avoir qu’une compréhension de ce que sont les chrétiens devant Dieu et de ce qu’est le dessein de Dieu pour eux.

    En Suède…

    La plupart des observateurs des évènements annoncés pour le 31 octobre 2016 n’ont pas suffisamment mis en lumière les enjeux du choix de la Suède. Plusieurs mêmes se contentent de considérer que le pape visitera l’Église luthérienne de Suède, voire simplement les chrétiens suédois (y compris les catholiques, puisqu’il y aura, le lendemain, une messe pontificale de la Toussaint au Sweban Stadion de Malmö). Or Lund a été choisi en raison que ce diocèse luthérien du sud de la Suède a été le lieu de la fondation, en 1947, de la Fédération luthérienne mondiale, cette instance internationale dont le siège est à Genève et qui regroupe les 72 millions de fidèles de 145 Églises.

    Les célébrations à la cathédrale de Lund et au stade Malmö Arena ont un caractère œcuménique et universel – et non à proprement parlé suédois (exceptée la messe du 1er novembre). L’évêque Mounib Younan, et le pasteur Martin Junge son secrétaire général, pour la Fédération luthérienne mondiale, et le pape François pour l’Église catholique, se retrouvent en Suède, pour conjointement présider le double évènement qui concerne la chrétienté toute entière.

    A la cathédrale se déroulera la prière commune soigneusement préparée sur la base du document « Du conflit à la communion » produit par une commission mixte dès 2013. Au stade de la Malmö Arena les représentants du Département d’Entraide mondiale de la Fédération luthérienne et Caritas Internationalis de l’Église catholique signeront un accord de coopération, signifiant l’engagement commun de compassion et d’amour à l’égard du prochain dans le monde blessé qui est le nôtre.

     

     

     

  • Articles du pasteur Alain Joly
  • La compréhension luthérienne du signe de la croix

    « En te levant, tu feras le signe de la croix… »

    La compréhension luthérienne du signe de la croix

     

    Pasteur Alain Joly

    (Cette intervention est la 9è sur 13, dans le cadre du colloque « Le signe de la croix, synthèse de notre foi » qui s’est tenu à Lourdes les 9 et 10 novembre 2009. Les actes ont été publiés par NDL éditions en 2010. On a gardé le style oral de la conférence).

     

     

    Si la Vierge Marie avait appris à Bernadette à bien faire le signe de la croix, le Réformateur Martin Luther l’avait enseigné, sa vie durant, aux enfants de Wittenberg. Dans son « Petit Catéchisme » de 1529, Luther recommande : « le matin, en te levant, tu feras le signe de la croix, en disant : Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen. Ensuite, à genoux ou debout, tu réciteras la Foi et le Notre Père… Mets-toi ensuite au travail avec joie, en chantant un cantique, par exemple les « Dix Commandements », ou ce que ta piété te suggèrera ». Ainsi les premiers mots qui surgissent du cœur éveillé doivent être le rappel de la grâce baptismale.

    Ce premier signe de la croix, signation sur soi, n’est pas muet : il accompagne le geste, ou, si l’on préfère, le geste accompagne la parole, selon un principe de juxtaposition. Performatifs, geste et parole ont du sens, ils rappellent, restaurent et restituent formellement la grâce baptismale en l’être chrétien qui s’éveille.

    Puisque, dans la suite de ces moments d’intime relation avec Dieu, Luther préconise que l’on chante les « Dix commandements », c’est qu’il faut porter une attention particulière au nom de Dieu. L’un des chorals composés par le réformateur, à l’intention de la jeunesse, est précisément un commentaire chanté de ce que l’on doit comprendre du Décalogue, par conséquent du commandement : « Tu ne prendras pas le nom de l’Éternel ton Dieu en vain ». En usant du signe de la croix, et des paroles conjointes au nom de la sainte Trinité, les croyants actualisent le commandement d’honorer le nom de Dieu.

    Pour le soir, Luther indique : « en allant te coucher, tu feras le signe de la croix, en disant : Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit…et tu pourras dire cette prière : Je remets mon corps, mon âme et toutes choses entre tes mains ; que ton saint ange m’assiste, afin que l’Ennemi n’ait aucun pouvoir sur moi ». Le chrétien se trouve dans la position d’attente de secours et de protection. C’est ainsi que, dans son Grand catéchisme (1529), le réformateur déclare bonne « la pratique des enfants selon laquelle on doit se signer lorsqu’on voit ou qu’on entend quelque chose de monstrueux et d’effrayant, en disant : Seigneur Dieu, protège-nous ! Aide-nous, Seigneur Christ ! ». Honorer le nom de Dieu en se signant, revient alors à reconnaître sa présence dans la vie du chrétien baptisé, s’attendre à protection et consolation, et être capable de résister au diable en lui faisant du tort.

    A son époque, Luther est persuadé que le grand travail de sape du diable, c’est d’empêcher les croyants d’accueillir les fruits de l’arbre de la croix, en d’autres termes de les détourner d’une bonne et vraie compréhension de la Justification. Mais, comme le diable « ne peut ni entendre ni supporter la Parole de Dieu » (Grand catéchisme, 1529), sa défaite est certaine quand le chrétien se remémore la grâce qui justifie. Convaincue de la doctrine de la Justification, donc de l’Amour manifesté à la croix, l’Église est en butte aux assauts de l’adversaire qui voudrait séparer les croyants de leur Sauveur.

    Il s’agira, en pratiquant le signe de la croix et invoquant la sainte Trinité, d’écarter le Malin. Luther a témoigné avoir fait l’expérience de ce geste efficace dans sa vie, comme saint Jean Chrysostome, jadis, le déclarait dans une Homélie sur la lettre aux Philippiens : « que nous soyons en voyage, à la maison, partout, la croix est un grand bien, une armure salutaire, un bouclier inexpugnable contre le démon ». Et Sulpice Sévère, dans sa « Vita Martini », rapporte que, au temps des commencements du christianisme en Gaule, « contre le diable, Martin, toujours impavide, s’armait du signe de la croix et du sceau de la prière ». Le diable, rôdant autour de l’Église, s’enfuit à l’énoncé du nom de Dieu et devant le tracé virtuel de la croix de Jésus. Luther ne doutait pas de l’efficacité de cette « bonne cuirasse » et ce « bon remède », écho à l’exhortation apostolique de revêtir « toutes les armes de Dieu » (Éphésiens 6,11).

    Dans une prédication prononcée le 1er septembre 1537, dans l’église paroissiale de Wittenberg, sur Jean 1,14, Martin Luther racontait avoir lu « que quelqu’un, ne pouvant avoir de répit devant le diable, a fait le signe de la croix, en disant : Le Verbe devint chair, ou, ce qui revient au même : Je suis chrétien » ; alors le diable fut chassé et battu () . Par une longue discussion on ne gagne pas grand chose sur le diable ( ). Nombre de chrétiens, dans les plus grandes détresses et les plus grandes frayeurs, ont prononcé ces paroles : Et Verbum caro factum est, en traçant de la main une croix devant eux, et ( )  le diable s’est alors écarté d’eux ».

    Le signe de la croix s’assortit d’une parole de l’Écriture, qui est confession de la foi. L’exemple est ici très explicite, avec la citation du prologue de l’Évangile de Jean. Le ténébreux adversaire de Dieu et des hommes ne peut supporter l’article principal de la foi. La signation parlée exprime en effet la sainte Trinité, l’incarnation, la double nature du Christ et la doctrine de la Justification, et c’est là tout ce que le diable exècre.

    En leur enseignant les psaumes, à l’Université de Wittenberg où il est professeur d’Écriture sainte et docteur en théologie, Luther, est soucieux de ses étudiants comme un pasteur l’est de ses fidèles. Dans le cadre de son cours sur le psaume 5, il évoque (de manière inattendue quand l’on sait les charges véhémentes du réformateur contre la scolastique médiévale), que saint Thomas d’Aquin se signait sous son vêtement « chaque fois qu’il entendait la louange de sa personne, habitude de respect à coup sûr excellente et pieuse » (« Operationes in psalmos », 1518-1521). Malgré qu’il paraît  qu’on ne sache pas si cette anecdote est vraie, Luther a fait ici l’éloge de l’humilité. « Sous le vêtement » voulait peut-être dire sur le cœur, en tout cas avec beaucoup de discrétion, et il y a là une recommandation bien pertinente.

    La tradition luthérienne, telle qu’elle s’est développée après la Réforme, n’encourageait pas spécialement la pratique de se signer en dévotion privée, pas davantage d’ailleurs qu’en liturgie. Elle a portant conservé cet usage mais sans y obliger quiconque. Les courants de renouveau liturgique et de piété, au cours du 20ème siècle en particulier, l’ont remis à l’honneur, avec sobriété, et en renonçant aux anciennes critiques anticatholiques qui y voyaient souvent magie, superstition ou acte superficiel. Dans sa dévotion personnelle, le croyant se positionne à l’ombre de la croix, louange au Dieu trois fois saint, et bénéfice de la grâce qui nous précède et nous bénit.

    Le symbole de la croix est présent, d’une façon plus insolite, dans les lieux et espaces sonores du luthéranisme. Nous pouvons en évoquer deux : l’écriture musicale de Jean-Sébastien Bach et le sens originel de l’arbre de Noël, conservé et transmis dans la tradition luthérienne de l’Allemagne du Nord et de l’Alsace.

    Dans les partitions très élaborées de son œuvre pour orgue, on trouve, chez Bach, l’écriture descriptive du motif de la croix, par exemple dans des préludes de chorals de Pâques (BWV 625) mais aussi de l’Avent et de Noël (BWV 601 et 610), suivant en cela le texte des strophes de cantiques dans lesquels l’offrande du Christ pour le salut des hommes est déjà présente dans la méditation de l’incarnation et l’attente du second avènement.

    A l’origine élément visuel important des jeux liturgiques auxquels s’adonnaient les gens du 15ème siècle dans la région rhénane, le sapin de Noël résume, l’un greffé à l’autre, l’arbre du jardin d’Éden, cause de la rupture de confiance entre l’homme et son créateur, et l’arbre de la croix dont le fruit nous rachète et nous rétablit dans l’alliance. Nos arbres festifs pour évoquer ce temps privilégié de la Nativité sont souvent encombrés de décorations artificielles et sans signification, voire de petits paquets-cadeaux ne contenant rien… alors que les sujets originaux de décoration de l’arbre, autrefois (et cela est bien attesté pour le 17ème siècle en particulier), étaient des fruits, ou les boules de verre les imitant, rappel du fruit défendu et cependant cueilli, et des petits gâteaux en forme d’hosties, rappel du fruit de la grâce. Pour dire l’arbre du signe de la croix, il faut aussi les lumières qui renvoient à la vraie lumière venue en nos cœurs par la grâce baptismale, un peu comme le suggère également le cierge de Pâques.

    Dans la liturgie, les Églises luthériennes ont conservé le signe de la croix sous trois modes différents : l’officiant trace le signe de la croix sur l’assemblée, sur le front du baptisé, sur la dépouille lors des funérailles ; la signation personnelle du fidèle en recevant bénédiction ou absolution ; le signe de croix que peut faire le pasteur, lors de leur consécration, sur les espèces eucharistiques. Ce geste s’accomplit en silence et correspond à l’épiclèse qui vient d’être prononcée.

    En ouverture de la célébration, le ministre dit : « Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » et peut se signer sur lui-même. Le pasteur conduit l’assemblée en faisant cela, pour l’amener à l’arbre salutaire de la croix et confier les fidèles à la bienveillante Trinité sainte. Il introduit, ce faisant, la césure d’avec le temps hors liturgie.

    La bénédiction qui conclut le service divin est césure à nouveau : on ne sort pas du lieu liturgique sans être accompagné et couvert du signe de la croix.

    Dès les commencements de la Réforme en Allemagne, Martin Luther avait été interpellé sur l’éventuelle incompatibilité des signes extérieurs de la foi avec la prédication renouvelée du pur Évangile : il avait répondu sans ambiguïté que tout était bienvenu qui pouvait conforter la foi des chrétiens quant à la Justification. « Qu’on n’en fasse pas une nécessité pour le salut, et qu’on ne lie pas la conscience avec cela », écrivait Luther en réponse à la lettre dans laquelle un pasteur lui demandait si on pouvait accepter encore de faire des processions (1539).

    Par conséquent, à partir du moment où rien n’est ôté et rien n’est ajouté au témoignage de l’Évangile de Jésus-Christ, toute manifestation visible s’y rapportant est légitime. Ainsi en pratique luthérienne, il n’y a ni prescription obligatoire, ni interdit formel, comme l’enseigne la Formule de Concorde de 1577 : « par nature, les choses extérieures sont indifférentes et libres, et ne doivent être ni prescrites ni interdites ». L’usage du signe de la croix est laissé à la liberté du ministre et à celle du fidèle. Mais l’expérience de l’Église est précieuse pour en juger.

    La théologie luthérienne pose un juste équilibre entre parole, repas et envoi. La prédication de la Parole de Dieu, lue et reçue, est présence de la croix. Le pasteur doit toujours se demander s’il prêche le Christ crucifié. Au cœur de la liturgie de la Parole, un usage attesté aujourd’hui encore dans certaines cathédrales luthériennes d’Europe du Nord (et aussi en anglicanisme) rend perceptible l’orientation de la proclamation de l’Évangile pour dire le Christ : on porte solennellement l’Évangéliaire au milieu de l’assemblée, précédé de la croix, laquelle, immobilisée pour la lecture, sera tenue face au lecteur.

    Dans la liturgie eucharistique, au moment de l’épiclèse, nous l’avons dit, l’officiant trace silencieusement un signe de la croix sur le pain et le vin. Il n’est plus nécessaire ensuite d’accomplir ce rite, puisque le Seigneur est réellement présent dans, avec et sous les espèces consacrées.

    Professeur de liturgie au séminaire théologique luthérien de Philadelphie, Gordon W. Lathrop a proposé de réfléchir aux critères d’authenticité qui justifient ce que l’on pratique en liturgie. En appliquant les cinq principes critiques que cet éminent théologien contemporain établit en guise d’évaluation des éléments culturels et symboliques de la liturgie (« Fédération luthérienne mondiale », Études « Culte, culture et dialogue » 1994), on peut vérifier si le signe de la croix a garder sens.

    S’agit-il d’un symbole vrai et fort et son usage est-il porteur d’espérance ? S’accorde-t-il à la doctrine de la Justification par la foi ? S’accorde-t-il à la dignité baptismale du peuple de Dieu ? Eclaire-t-il le dessein gracieux et salutaire de Dieu ? Lorsqu’on s’en sert, la Parole et les sacrements sont-ils encore au centre ? A toutes ces questions, appliquées au signe de la croix, la réponse nous paraît clairement positive.

    Pour finir, me permet-on d’imaginer une rencontre « improbable », comme on dit maintenant, et un peu audacieuse ? Bernadette Soubirous et Martin Luther, s’ils ne sont pas déjà rencontrés dans le ciel, pourrait bien le faire en se croisant dans la communion des saints !

    Bernadette salua Martin : « Bonjour, révérend père ! », « Bonjour mon enfant » répliqua le réformateur. Pour se présenter, Bernadette dit : «  J’ai été baptisée au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et j’ai appris de la Vierge Marie à bien faire le signe de la croix, et je l’ai transmis à beaucoup de catholiques ». Martin lui dit : « Moi aussi, j’ai été baptisé au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et je me suis efforcé d’apprendre le signe de la croix aux enfants de Wittenberg, à leurs parents et à tous ceux qui se sont réclamés de moi dans la suite des temps ». Bernadette : « Tu vois l’état de l’Église, et les chrétiens divisés… Tu es pour quelque chose en cela ! » Martin : « Je le reconnais. Mais maintenant, si tu le veux bien, demandons à Dieu, toi et moi, que tous les chrétiens se retrouvent à la croix ». « Je le veux bien » déclara Bernadette, enthousiaste.
    Alors, ils s’agenouillèrent devant la Croix glorieuse de Notre Seigneur, et, s’adressant à Dieu, prièrent afin que les croyants qui combattent le bon combat de la foi et portent la croix sur la terre, vivent ensemble l’espérance de leur unité en Christ. Ils demandèrent cela, en faisant le signe de la croix et disant d’une même voix : « Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen ! ».

     

  • Présentations
  • Création du site internet de l’ICML

    Le site de l’Institut Culturel Martin Luther (ICML) est entrain de se mettre en place. Patientez encore un peu! Dans quelques jours, il permettra à l’association de présenter à un large public ses activités de promotion culturelle (organisation de concerts, de conférences, de Journées de recherche, etc.) et de parrainage artistique et scientifique en lien avec le riche patrimoine luthérien.