
Conférences
Assemblée générale de l’Institut Martin Luther
Téléchargez le bulletin d’adhésion
Invitation à l’assemblée générale et au concert
samedi 25 novembre 2017
Chers amis, l’Institut culturel Martin Luther tiendra sa première assemblée générale depuis sa création l’année dernière. Nous serions heureux de vous y accueillir, si vous souhaitez nous rejoindre, ou simplement connaitre notre association. La réunion débutera à 19h, samedi 25 novembre, en l’église luthérienne Saint-Marcel, 24 rue Pierre Nicole, Paris 5e. Elle sera suivie, vers 19h45 et d’un concert spirituel auquel nous vous convions cordialement.
L’Institut culturel Martin Luther a pour objet la valorisation des œuvres de l’esprit émanant du patrimoine luthérien, l’encouragement des échanges et des partenariats entre différents acteurs culturels, et la production d’évènements pluridisciplinaires et de publications.
Suivez-nous sur le site http://institutluther.com
L’association est honorée du parrainage de douze personnalités du monde de l’art et de la culture, Mme Elisabeth Blaack von Einsiedel, M. Gilles Cantagrel, de l’Académie des Beaux-Arts, le Père Thierry de l’Epine (collège des Bernardins), M. Jean-Rodolphe Loth, peintre, Mme Hyun-Hwa Cho, organiste et compositrice, M. Michel Petrossian, compositeur et Grand Prix international Reine Elisabeth, M. Rudolf Klemm, de la Neue Bachgesellschaft, Mmes et MM les professeurs Edith Weber (Paris-Sorbonne), Gilbert Dahan (CNRS et EPHE), Sylvie Le Moël (Paris-Sorbonne), Annie Noblesse-Rocher (Strasbourg), Philippe Terrier (Neuchâtel).
Concert d’œuvres d’orgue de Laurent Mallet
et interprétées par lui, autour de chorals luthériens
présentation des textes des cantiques par le pasteur Alain Joly
Entre fidélité et Réformation : une vision de l’homme réconcilié
Entre fidélité et Réformation : une vision de l’homme réconcilié
Intervention du pasteur Alain Joly
au colloque interdisciplinaire « Religion et contestation« ,
Université Blaise-Pascal (Clermont-Ferrand II)
16 avril 2014
Elle fut de courte durée, si même elle existât, l’unanimité des théologiens, des poètes et des princes, désireux de mener, dans l’Allemagne du début du 16ème siècle, une réforme de l’Église.
Lorsque le 31 octobre 1517, le moine augustinien Martin Luther, docteur en théologie de l’université de Wittenberg, rend publiques ses 95 Thèses sur la vertu des indulgences, pour en dénoncer l’inadéquation avec l’enseignement de l’Évangile, il ne s’agit point là d’une contestation de l’institution ecclésiale. La controverse académique, que l’initiative du jeune professeur devait ouvrir sur le sujet des indulgences, provoqua cependant la réaction des autorités de l’Église, et engagea, à la longue une volonté de réforme qui n’était pas dans l’intention de Luther à l’époque de l’évènement, somme toute anodin, mais qui deviendrait la référence emblématique des commencements du protestantisme.
Durant l’année 1520, cette volonté de réforme s’affermit jusqu’à inquiéter le pape Léon X, pourtant destinataire d’une lettre en préface au Traité de la Liberté du chrétien, dans laquelle Luther espérait encore l’intervention du Pape. Bientôt celui-ci se voyait contraint de menacer d’excommunication l’audacieux moine de Wittenberg et ses partisans, s’ils ne rétractaient leurs écrits et leurs enseignements. En janvier 1521 Luther fut excommunié, puis relevé de ses vœux monastiques par son supérieur. La rupture était dès lors consommée définitivement.
Dès que Martin Luther se fut donc engagé irrémédiablement dans un combat, selon lui, pour la restauration de la prédication du pur Évangile, il devenait tout aussi inéluctable que le réformateur, en donnant une telle puissance à ses luttes, serait confronté à la défection et bientôt à l’adversité.
Le mouvement de la Réformation, amené par Luther sur un terrain de conflit et de véhémence, aurait pour premiers contestataires ceux, parmi les adeptes des prémices pourtant, qui regrettaient le temps encore paisible des cours prometteurs, des disputationes, des dénonciations intellectuelles de l’ignorance et de la superstition.
Érasme fut ainsi le plus craintif de tous et bientôt l’opposant le plus illustre : « il sacrifie tout pour la paix, s’exclamait Luther, il fuit la croix ! ». « Nous voyons, lui écrivait-il en avril 1524 (Œuvres, Weimar II,898), que le Seigneur ne vous a pas donné l’énergie qu’il faudrait pour attaquer avec nous tous ces monstres (c’est-à-dire les papistes), librement, courageusement; et nous ne sommes pas gens à exiger de vous ce qui dépasse vos forces et votre manière. Grâce à vous fleurissent les lettres qui conduisent à l’intelligence de l’Écriture ( ). Nous craignons seulement qu’entraîné par nos adversaires, vous n’en vinssiez à attaquer ouvertement nos dogmes, et alors notre devoir eût été de vous résister en face. »
Profitant des exagérations de Luther pour en souligner les dangers, Érasme publiait sa fameuse diatribe sur le libre arbitre, et, de la sorte, sur le terrain même du combat de la Réforme, les deux géants s’affrontaient et divisaient par eux, et leurs contemporains, et leurs héritiers. En décembre 1525, Luther répliquait avec son De servo arbitrio (« Du Serf arbitre », traduit en allemand par Justus Jonas sous le titre « Le Libre arbitre n’est rien ! »).
« Il faut aux chrétiens une certitude : le saint Esprit n’est pas un sceptique. Il n’y a point de christianisme sans de fermes convictions et une confession franche de la vérité; et si la vérité révélée dans les saintes Écritures est cachée au cœur naturel de l’homme, elle apparait avec évidence aux yeux des chrétiens et leur donne une invincible défense contre leurs adversaires. »
Que Luther ait eu à combattre Érasme, les modérés et les tièdes, ensuite sur sa gauche, si l’on peut dire, des réformateurs plus radicaux que lui, Carlstadt, par exemple, et d’autres personnes qualifiées d’illuminés, d’hérétiques, et de suppôts du diable, n’est pas la moins inattendue des conséquences de la haute conscience que Luther avait de se faire – ou d’avoir été choisi pour être – le héraut, le porte-parole, le milicien de la Réforme évangélique.
Au cœur de son enseignement, Luther affirme la doctrine de la justification par la grâce seule et saisie par la foi. Il la résume dans le Traité du Serf arbitre en ces termes : « L’homme est incapable de se sauver par lui-même. Le salut vient de Christ, et c’est un don de Dieu. Si nous croyons que Jésus-Christ nous sauve par son sacrifice, n’est-ce point anéantir son œuvre de grâce que d’en revendiquer une part quelconque pour nous ? ». Cette théologie de la grâce, opposée énergiquement à l’enseignement du pape de Rome tout autant qu’aux subtilités nuancées d’Érasme, aura au moins pour elle tous les grands réformateurs Philipp Melanchthon, Ulrich Zwingli, Jean Calvin, Pierre Viret, Martin Bucer…
Si de quelque façon, cette doctrine de la grâce est amoindrie ou relativisée, ceux qui s’y risqueraient ne pourraient plus prétendre à inscrire leur combat dans la réformation de l’Église. Ils s’en trouveraient – et s’en sont trouvés de fait – en deçà, et, du coup, rejetés au rang de contestataires du véritable Évangile, des dissidents de la Réformation. Car l’enjeu, pour Luther, est de porter la vérité telle que l’Écriture sainte en suscite le témoignage authentique. La vérité n’est pas subjective, elle n’est pas celle de la conscience, elle est celle que dicte à la conscience le témoignage de la Bible. Il est fondamental, de ce point de vue, d’éviter tout contresens aux options de Luther. S’il peut passer pour l’initiateur de la liberté de conscience, son exigence est telle vis-à-vis de la réception des Écritures saintes qu’en définitive il y aura, dans le protestantisme européen du 16ème siècle, plus de dissidents et d’adversaires de Luther que de confessants unanimes avec lui sur la compréhension des modalités de la Réforme et des conséquences de sa lecture de la Bible.
A partir de novembre 1517, alors que la diffusion des 95 thèses a attiré l’attention sur lui, Martin Luder (car c’est son vrai nom de famille) commence de modifier son nom en adoptant l’usage de s’appeler Martinus eleutherios, c’est-à-dire Martin le libre, ajoutant parfois, au bas de certaines lettres, avec sa signature, « esclave du Seigneur », indiquant ainsi qu’il ne se considérait pas lié par l’institution ecclésiale quand elle contredisait l’Évangile. Sa vie durant, désormais, Martin Luther, l’homme libre, ne cessera de revendiquer le droit fondamental de sa conscience. Ce n’est pas encore la liberté de conscience, dans le sens où l’entendra la pensée moderne issue du Siècle des Lumières, ou alors il convient d’en expliciter la compréhension que le Réformateur de l’Église en avait. La liberté du chrétien est la plus haute grâce qui lui est faite quand celui-ci, le chrétien, consent à reconnaître à Dieu l’initiative et la puissance de sa miséricorde, quand la conscience se trouve liée au dessein de salut résolu dans le cœur divin. La liberté du chrétien suscite en lui la joie parce qu’elle l’affranchit de toutes dénominations contraires à la vie.
Deux mots fameux et prononcés en des circonstances historiques à la diète de Worms, le 18 avril 1518, résument cette appropriation singulièrement chrétienne de la liberté : « j’ai franchi le pas »(Ich bin hindurch !) et « ma conscience est captive des paroles de Dieu, ( ) je ne puis autrement » (Ich kann nicht anders !). Cette ultime déclaration se trouve dans le discours que Luther a reconstitué pour le publier plus tard :
« A moins qu’on me convainque par des attestations de l’Écriture ou par d’évidentes raisons – car je n’ajoute foi ni au pape ni aux conciles seuls, puisqu’il est clair qu’ils se sont trompés et qu’ils se sont contredits eux-mêmes, je suis lié par les textes scripturaires que j’ai cités et ma conscience est captive des paroles de Dieu. Je ne puis ni ne veux me rétracter en rien, car il n’est ni sûr ni honnête d’agir contre sa propre conscience. Je ne puis autrement, me voici, que Dieu me soit en aide ! ».
Ces propos et cet acte devant l’empereur Charles-Quint et les princes convoqués à la diète de l’Empire sont quasiment subversifs, car Luther ne se contente plus d’accepter ce qu’a dit et fait la Tradition, mais il demande pourquoi cela a été dit et fait, et en fonction de ce pourquoi, Luther offre au discernement de la conscience de se positionner en concordance – ou non – avec l’Écriture sainte.
Il ne s’agit donc pas de liberté tout court. D’ailleurs Luther ne supporte pas et condamne tous ceux qui la revendiquent pour parvenir à des fins qui n’ont plus la visée de l’Évangile du salut.
C’est ainsi qu’en mai 1525, et quoiqu’il leur eut dit suffisamment les torts des deux côtés, et les avoir exhorté à la paix, il approuvait la répression, par les princes, des paysans et des illuminés qui enchaînaient cette liberté chrétienne à une dimension sociale et politique. « Des prophètes de meurtre », comme il les désignait, Thomas Muntzer en tête, ont soulevé les paysans contre les seigneurs en ne retenant qu’un sens charnel à la liberté revendiquée et dont l’usage devenait alors illicite.
Quand Luther affranchit spirituellement le chrétien, le plaçant devant Dieu, coram Deo, au bénéfice de la croix, c’est-à-dire d’un amour immérité et saisi seulement par la foi, puis devant les hommes, coram hominibus, avec l’exhortation à pratiquer les bonnes œuvres, quand Luther, donc, affranchit le chrétien, il le soumet, dans le même temps, politiquement et socialement, à l’autorité civile. Karl Barth, le grand théologien réformé du 20ème siècle, y décèlera l’erreur fatale, la cause de la défaillance morale du protestantisme allemand face au nazisme. Dans l’histoire de l’Allemagne, la Réforme luthérienne, assortie de la soumission au pouvoir temporel, était devenue l’une puissances conservatrices de la société.
La pensée luthérienne propose en apparence la simultanéité de thèses contradictoires. Car du principe de la conscience captive de la Parole de Dieu, et donc d’une liberté dépendante de Dieu, découle la soumission volontaire au pouvoir temporel, dans la mesure où celui-ci, reconnu comme établi par Dieu, n’incite pas au témoignage contraire à l’Évangile. Bien plutôt, le pouvoir temporel doit veiller à le favoriser. L’État doit user de la force pour réprimer le mal. Pour Luther, l’autorité civile est nécessaire afin d' »assurer la paix, punir le péché et résister au méchant » (Traité de l’Autorité temporelle, 1523). C’est pourquoi, « le chrétien se soumet volontiers au pouvoir du glaive, paie les impôts, honore l’autorité, sert, aide et fait tout ce qu’il peut et qui est utile pour que le pouvoir soit maintenu dans l’honneur et la crainte ». D’ailleurs Luther considère cette situation comme obligée par le fait que quasiment personne ne se conduit réellement en chrétien, tous sont pécheurs et devraient se présenter pénitents devant Dieu. La célèbre formule simul justus, simul peccator, semper penitens (« à la fois juste et pécheur, toujours pénitent ») qui touche à la réalité de l’être intérieur, coram Deo, se vérifie aussi dans la dimension extérieure : le chrétien vit dans le monde.
L’expérience de la foi transpose le mystère des deux natures du Christ : en lui, Roi et Serviteur, s’opère un « joyeux échange ». Dans le Traité de la Liberté chrétienne, Luther écrit : « Par le mystère de la foi, Christ prend à lui péché, mort et châtiment, l’âme, par contre, reçoit la grâce, la vie, la félicité ». Affranchi de manière passive, en recevant l’œuvre accomplie par Christ et donnée par lui, le croyant – celui qui fait crédit à Dieu que cette œuvre est efficace -, devient un instrument, un acteur de libre amour : « voici qu’alors jaillissent de la foi, l’amour et la joie en Dieu et de l’amour une existence libre, spontanée, joyeuse, qui se voue gratuitement au service du prochain » (Traité de la Liberté chrétienne). En fait, – dans les faits ! -, la servitude à la Parole de Dieu est concomitante du service, « être pour les autres un Christ, comme Christ a été pour moi » (Traité de la Liberté chrétienne).
La conscience n’a nul besoin ni nécessité de s’assurer dans aucune œuvre. Elle est en bonne « santé », comme le suggère le Réformateur dans son « Jugement sur les vœux monastiques » de 1522, lorsqu’elle se libère des œuvres, non pour ne pas les accomplir, mais au contraire parce qu’elles sont la conséquence du salut par la foi. Au jugement de la conscience, le croyant se soumet à la loi de la grâce et en réfère à l’Écriture sainte. Et cette loi de la grâce, qui lui dit la justice de Dieu, l’oblige à son engagement responsable jusque dans son comportement moral ou éthique. Tout ce qui est dans l’ordre des actes signifie l’être régénéré – ou non -, juste et justifié par amour – ou non. Au chrétien d’en évaluer, à l’aune de l’Écriture sainte, sa responsabilité envers le monde. Ainsi réconcilié avec Dieu et avec lui-même, le chrétien contribue à changer le monde dans lequel il a le devoir d’une vocation agissante.
Quoique ce ne soit pas à proprement parler une doctrine, et que le Réformateur n’employa pas ce terme pour affirmer son enseignement, la formulation classique en théologie luthérienne concernant les deux règnes de Dieu est explicitement développée dans le petit traité « De l’autorité civile et des limites de l’obéissance qu’on lui doit« , imprimé à Wittenberg en 1523 :
« Tenter de gouverner un pays ou le monde entier à l’aide de l’Évangile serait aussi intelligent que d’enfermer dans une même étable des loups, des lions, des aigles et des moutons, et de leur dire : soyez bien sages, vivez en paix, broutez ensemble, l’étable est ouverte, l’herbe est abondante, et vous n’avez à craindre ni les chiens, ni les coups de trique. Les moutons seraient paisibles et accepteraient d’être gouvernés ainsi paisiblement, mais ils ne vivraient pas longtemps. C’est pourquoi il faut bien distinguer ces deux moyens de gouverner et les laisser subsister les deux, l’un qui crée des âmes pacifiques, l’autre qui assure la paix par des moyens extérieurs et qui tient en bride les méchants ».
Il ne doit y avoir aucune ingérence d’un des deux règnes sur l’autre. C’est pourquoi le principe cujus regio, ejus religio, qui fixera la partition religieuse du Saint Empire romain germanique pour au moins deux siècles à partir de la Paix d’Augsbourg de 1555, n’est pas l’application de l’enseignement de Luther. L’adage cujus regio, ejus religio, qu’on peut traduire ainsi : à la religion du prince correspond celle de ces sujets, signifie concrètement que le prince décide de la religion de ses sujets. Des circonstances politiques et la théorie du disciple de Luther, Philipp Melanchthon, sur les rapports entre l’Église et l’État, conduira à l’extension de la compétence de l’autorité temporelle sur les affaires religieuses, jusqu’à reconnaître au prince le statut de summus episcopus (évêque suprême, au dessus des évêques de l’Église).
Au demeurant le principe énoncé en ces quatre mots latins est profondément enraciné dans une vision médiévale du corps social qui est à la fois une nation et l’expression du corps du Christ, dans lequel, par conséquent, ne peut demeurer plus d’une confession, car le corps du Christ est un et il n’a aussi qu’un chef. L’émergence très progressive de l’idée de tolérance, que même l’Édit de Nantes, en France, n’a pas réalisé autrement qu’en attente d’une restauration de l’unité, orientera la présence religieuse à une autre vision du monde. Ni Luther ni ses contemporains, ni quasiment personne avant Pierre Bayle, n’envisageraient de réorganiser le monde chrétien selon un principe de tolérance qui ne dirait pas cette unité idéalisée.